Pouvoir d’achat et inflation – Note de conjoncture

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Tandis que les pays européens enregistrent un net ralentissement de l’inflation, la hausse des prix continue de se situer à un niveau relativement élevé en France fin 2023 (+4,1% en un an en décembre 2023 contre +2,9% pour la zone euro).

Dans ce contexte, la question centrale du pouvoir d’achat des ménages demeure d’actualité : depuis 2021, les salaires progressent en effet moins vite que les prix. En outre, la mesure de l’inflation par l’Insee tend à sous-estimer cette hausse du coût de la vie.

Les salaires évoluent moins vite que les prix depuis 2021

Depuis deux ans, bien qu’en croissance les salaires augmentent à un rythme moins soutenu que l’inflation. En 2022, alors que les prix augmentaient de 5,3% sur l’année, le salaire moyen affichait une hausse de 3,9% : d’où une baisse des salaires réels d’un peu plus d’un point. En 2023, cet écart se maintenait toujours au T3 avec une baisse de 0,6% en un an.

 

 

Un décrochage pour toutes les CSP mais ce sont les cadres qui en pâtissent le plus

Par CSP, les salaires des ouvriers et des employés progressent davantage que ceux des autres catégories. Les cadres sont ceux qui affichent la progression la plus faible de leur salaire mensuel de base +3% en 2022 et +3,6% en 2023.

Un tassement des grilles au niveau du SMIC : le nivellement social vers le bas

La progression est plus importante au niveau du SMIC, qui bénéficie des règles de revalorisation automatique indexée sur les prix : +5,2% en 2022 et +5,4% en 2023[1]. Cette tendance conduit à un rattrapage des bas salaires (qui ne sont pas augmentés au même rythme) par le salaire minimum, et donc à une forte augmentation du nombre de personnes payées au SMIC en France : en deux ans, entre 2021 et 2023, leur nombre a progressé de plus de 50 % et atteint 3 millions dans le secteur privé[2]. Les fréquentes revalorisations du SMIC le mène parfois même au-delà des rémunérations de base conventionnelle : ainsi, début septembre 2022, 131 branches sur les 171 du secteur général présentent au moins une rémunération conventionnelle inférieure au Smic.

Les insuffisances de l’IPC de l’Insee comme indicateur du coût de la vie

Ce décrochage entre la progression des salaires et celle des prix a ainsi pour effet une perte en pouvoir d’achat. Cette perte, calculée sur la base de l’indice des prix à la consommation (IPC) de l’Insee pourrait même être plus importante si l’on prend en compte les limites de cet indicateur.

L’inflation telle que calculée par l’INSEE consiste à mesurer chaque mois l’évolution des prix d’un panier de biens et services. Afin de refléter la consommation d’un ménage moyen en France, chaque bien et service se voit ensuite attribuer une pondération équivalente à sa part dans les dépenses totales des ménages, afin de constituer un panier type, renouvelé tous les 5 ans. A partir de ce panier est construit l’IPC.

La principale limite de l’IPC de l’INSEE comme baromètre de l’inflation, réside dans cette conception de « ménage moyen » qui tend à gommer les disparités entre ménages avec la pondération appliquée aux éléments du panier. Par exemple, les dépenses liées à l’alimentation représentent 16,2% dans la construction de l’indice en 2023[3], alors qu’elle représente 18,3% des dépenses des ménages les plus modeste contre 14,2% pour les plus aisés en 2017[4]. L’IPC a ainsi tendance à gommer les différences des structures de consommations des ménages.

 

 

Ce constat est d’autant plus problématique dans le contexte actuel où l’un des moteurs principaux de l’inflation est la hausse des prix sur l’alimentation (+ 11,8%). L’inflation telle que mesurée par l’INSEE en 2023 (4,8%) tend ainsi à sous-estimer le coût de la vie des ménages les plus modestes, ce qui explique en partie la différence entre l’inflation affichée et l’inflation subie par certains ménages.

En outre, l’IPC ne prend pas suffisamment en compte les dépenses de logements. En effet, ne sont pris en compte que les dépenses constituant de la consommation, c’est-à-dire les loyers payés, et les charges (eaux, réparations, enlèvements des ordures…), excluant donc les coûts liés à l’achats de logements (crédits immobiliers). Or seuls 40% des ménages sont locataires, ce qui diminue le poids des dépenses de logements dans le calcul de l’IPC (autour de 15% en 2022[5]), alors que le logement représente 26,7 % de la dépense de consommation finale des ménages en 2022 (propriétaires et locataires confondus)[6].

Conclusion

Alors que s’ouvre dans de nombreuses entreprises une période de négociations sur les salaires, l’analyse des évolutions de l’inflation révèle que depuis 2021, les salariés du privé, dont le salaire de base augmente moins vite que les prix, voient leur pouvoir d’achat diminuer. Lors de ces négociations, les représentants du personnel doivent garder en tête que l’inflation communément présentée est sous-estimée du fait des choix méthodologiques réalisés et qu’elle ne reflète pas la réelle hausse du coût de la vie des ménages.

 

[1] Carole Hentzgen, Fanny Labau, Adrien Lagouge, Ismaël Ramajo, « Quel effet de l’inflation sur la progression actuelle des salaires ? », Dares, 2 février 2023 ; Variation des moyennes annuelles en %

[2] Luc Monge, « Salariés au SMIC : entre 2021 et 2023, leur nombre a augmenté de 50% », Le Messager, 24 janvier 2024.

[3] « Indice des prix à la consommation : les changements de l’année 2023 », Insee

[4] « Enquête budget des familles 2017 », Insee (Dernières données à date)

[5] « Indice des prix à la consommation : les changements de l’année 2022 », Insee

[6]  « Comptes nationaux », base 2014, Insee.

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