Agir sur les discriminations de genre en entreprise

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Les discriminations de genre dans le cadre professionnel ne reculent que très lentement. Ainsi, malgré la législation existante les écarts de salaires restaient de 22 % en 2019. Les femmes sont 3 fois plus souvent à temps partiel que les hommes et malgré une plus forte proportion de femmes diplômées du supérieur : en 2020, 53 % des femmes de 25 à 34 ans étaient diplômées du supérieur contre 46% des hommes et elles ne représentent que 43 % des cadres.

Ces quelques constats faits, comment expliquer cette difficulté à endiguer ces discriminations et comment agir sur ces questions ?

Des mécanismes complexes et imbriqués

Les écarts de salaires s’expliquent pour un tiers par des différences de temps de travail. Ce temps de travail est lui-même influencé par la prise en charge principalement par les femmes du travail domestique et notamment parental qui favorise le travail à temps partiel.

En effet, le travail reproductif (ou domestique) reste majoritairement à la charge des femmes et cette situation évolue très lentement puisque « les femmes effectuent en 2010 près des deux tiers des tâches domestiques. L’écart entre hommes et femmes s’est sensiblement réduit dans les trois dernières décennies ; celui‑ci s’élevait à 138 minutes en 1985, il a baissé d’une heure depuis. Ce rapprochement des temps tient surtout aux femmes. En effet, ces dernières ont significativement écourté le temps consacré aux tâches domestiques : en 2010, elles y passent 69 minutes de moins qu’en 1985. Les hommes, eux, ont réduit de 9 minutes leur temps domestique en 25 ans, si bien que les femmes restent les principales productrices de travail domestique.

Les évolutions sont bien différentes pour le temps parental. Alors que le temps alloué au travail domestique a eu tendance à diminuer au fil des décennies, notamment pour les femmes, le temps parental a suivi la tendance inverse, particulièrement pour les hommes. Pour ces derniers, il est en effet passé de 22 à 41 minutes par jour entre 1985 et 2010, et pour les femmes de 82 à 95 minutes, la progression s’étant principalement réalisée dans la dernière décennie. Le temps parental représente en 2010 un tiers du temps domestique total, contre un cinquième 25 ans plus tôt. On retrouve ici la tendance observée dans de nombreux autres pays industrialisés (Gauthier et al., 2004 ; Sayer et al. ; 2004 ; Bianchi, 2000). Là encore, l’écart entre hommes et femmes s’est réduit, mais ces dernières y consacrent toujours plus du double de temps, quotidiennement.  »[1]

Cette charge supplémentaire qui incombe aux femmes et leur salaire moindre impliquent que ce sont généralement les femmes qui réduisent leur temps de travail.

Si le travail à temps partiel est parfois directement contraint, et dans ces cas, les femmes sont plus souvent concernées car il est très développé dans les métiers à forte prédominance féminine (aides à domicile et employées de maison, caissières, …). Le temps partiel est parfois « choisi » mais dans un cadre très contraint en lien avec la charge des enfants et des horaires de travail variables ou peu adaptés. Ainsi nombre de salariées choisissent le temps partiel pour permettre l’aménagement de leur planning de travail et une certaine stabilité simplifiant un peu leur organisation personnelle et l’adéquation entre activité professionnelle et vie privée.

Les deux tiers des écarts de salaires sont liés à d’autres facteurs : différences de secteurs d’activité, différences de postes, de parcours professionnel…

Or, ces différents éléments sont liés aux difficultés que rencontrent les femmes au cours de leur carrière notamment les interruptions de carrières liées aux charges familiales qu’elles assument, ou à leur supposée moindre disponibilité pour assumer des postes à responsabilité. Le plafond de verre qui persiste malgré les législations successives est également dû à la tendance à la reproduction des cadres dirigeants qui recherchent des cadres qui leur ressemblent. Comme ce sont en majorité des hommes, l’intégration de femmes dans les postes d’encadrement supérieur est réduite. « Les femmes cadres accèdent moins au management que les hommes (35 % versus 43 %) et lorsqu’elles sont managers, leur poste s’apparente plus souvent à du management de proximité (équipes plus restreintes, moindre responsabilité de budget/chiffre d’affaires). »[2]

La ségrégation sexuée des métiers est un des autres phénomènes qui permet de comprendre les écarts femmes-hommes. Des facteurs multiples tendent à favoriser l’orientation des femmes vers des secteurs professionnels limités : principalement les métiers du soin, de la relation sociale…

On dit d’un métier qu’il est féminisé quand la proportion de femmes y est supérieure à 65% et à l’inverse qu’il est masculin quand la proportion de femmes y est inférieure à 33%. Entre les deux se situent les métiers mixtes. Au sein des métiers féminins, le temps partiel est plus fréquent. Les conséquences de cette ségrégation professionnelle sont nombreuses notamment en matière de rémunération mais également en ce qui concerne les conditions de travail et les risques professionnels auxquels les salarié·e·s sont exposé·e·s.

Ces éléments structurants de la discrimination de genre au travail complexifient les moyens d’agir au sein des entreprises. En effet, comment contrer les effets de la ségrégation professionnelle sur les rémunérations ? Comment agir sur l’inégale répartition du travail domestique ?

La loi et les obligations en entreprise

L’arsenal législatif s’est étoffé au fil des années mais la mise en application de ces textes est très relative. S’ils peuvent être des points d’appui à des actions contre les discriminations de genre, ils ne sont pas suffisants pour assurer une réelle égalité femmes – hommes au travail.

  • La loi du 22 décembre 1972 pose le principe de l’égalité de rémunération “pour un même travail ou un travail de valeur égale”.
  • La loi du 11 juillet 1975 interdit de rédiger une offre d’emploi réservée à un sexe, de refuser une embauche ou de licencier en fonction du sexe ou de la situation de famille “sauf motif légitime”.
  • La loi du 13 juillet 1983 (dite loi Roudy, transposition de la directive Européenne du 9 février 1976 dans la loi française) réaffirme le principe de l’égalité dans tout le champ professionnel (recrutement, rémunération, promotion ou formation). Elle précise et modifie les dispositions législatives de 1972 et de 1975 en supprimant la notion de “motif légitime” d’une quelconque discrimination et en définissant la notion de “valeur égale”. Sont désormais considérés comme ayant une valeur égale et donc méritant un salaire égal “les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse”. La loi institue l’obligation pour les entreprises de produire un rapport annuel sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise dont l’objectif est de formaliser et de quantifier les inégalités professionnelles et de définir les actions susceptibles de supprimer les écarts de situation. Enfin, la loi complète l’égalité de traitement par la notion d’égalité des chances. Cette dernière notion implique que des actions spécifiques soient engagées envers les femmes pour garantir une égalité réelle. Ces actions “positives” reposent sur des pratiques discriminatoires en faveur des femmes.
  • La loi du 9 mai 2001 (dite loi Génisson) relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes encourage la mise en œuvre de “mesures de rattrapage tendant à remédier aux inégalités constatées notamment en ce qui concerne les conditions d’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et pour ce qui est des conditions de travail et d’emploi”. Elle crée aussi une obligation de négocier sur l’égalité professionnelle au niveau de l’entreprise et au niveau des branches. Elle réaffirme l’obligation pour les entreprises de rédiger un rapport de situation comparée qui doit reposer sur des indicateurs chiffrés.
  • La loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes vient renforcer La loi Génisson. Elle impose des négociations sur des mesures de suppression des écarts de rémunérations qui doivent avoir disparu au 31 décembre 2010.
  • La loi du 27 janvier 2011, fixe des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance (dite loi Copé-Zimmermann). Ce texte prévoit l’instauration progressive de quotas pour aller vers la féminisation des instances dirigeantes des grandes entreprises (entreprises publiques et entreprises cotées en bourse). Trois ans après la promulgation de la loi, les instances concernées doivent compter au moins 20% de femmes. Six ans après, le taux de féminisation doit atteindre 40%. Le non-respect de ces quotas entraîne alors la nullité des nominations (sauf celles des femmes).
  • La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social instaure également une obligation de représentation équilibrée au sein des instances représentatives du personnel dans l’entreprise (délégués syndicaux, délégués du personnel, membres du comité d’entreprise). Les listes de candidats aux élections professionnelles doivent respecter la parité et la règle de l’alternance hommes-femmes sous peine d’annulation des élections.
  • La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a mis en place un outil d’évaluation pour mesurer et corriger les différences de rémunération dans les entreprises. Celles-ci ont désormais une obligation de résultats, et non plus seulement une obligation de moyens. Tous les ans, chaque entreprise d’au moins 50 salariés doit calculer et publier sur Internet son “index d’égalité femmes-hommes”. Cet index prend la forme d’une note sur 100, calculée à partir de quatre critères (pour les entreprises de 50 à 250 salariés) et cinq critères (pour celles de plus de 250 salariés) :
    • la suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, par catégorie de postes équivalents et par tranche d’âge (40 points) ;
    • la même chance d’avoir une augmentation pour les femmes que pour les hommes (20 points) ;
    • la même chance d’obtenir une promotion pour les femmes que pour les hommes (15 points) ;
    • l’augmentation de salaire garantie au retour de congé maternité (15 points) ;
    • la parité parmi les 10 plus hautes rémunérations (10 points).

Les entreprises doivent atteindre a minima la note de 75 sur 100 d’ici à trois ans. Si leur score est inférieur à 75, les entreprises doivent mettre en place des mesures correctives sous peine de sanctions financières pouvant aller jusqu’à 1% du chiffre d’affaires.

Cependant, 23,5% des entreprises ont moins de 10 salariés et 3,8% entre 10 et 49 salariés ainsi plus du quart des entreprises en France ne sont pas directement ténues de mettre en œuvre ces mesures.

  • La loi du 24 décembre 2021 instaure des quotas dans les postes de direction des grandes entreprises : 40% de femmes cadres dirigeantes d’ici à 2030, sous peine de pénalité financière pour les entreprises (1% de la masse salariale au maximum). Selon l’index 2021 de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, quatre entreprises sur dix de plus de 1 000 salariés comptent moins de deux femmes parmi les dix plus grosses rémunérations.

Malgré cette législation qui affirme en droit l’obligation qui est faite aux entreprises d’assurer une égalité professionnelle réelle l’évolution effective de la situation des femmes au travail n’est que très lente. Se pose alors la question de comment faire appliquer ces textes ; et au-delà de la législation, comment lutter contre les discriminations de genre en entreprise ?

Des mesures concrètes à gagner en entreprise et des modalités d’application effectives de la législation

Nous l’avons vu au début de cet article, les mécanismes en jeu dans les discriminations de genre au travail sont complexes et dépassent largement le cadre de l’entreprise. Les législations successives n’ont jusqu’à maintenant pas permis de faire concrètement avancer les droits des femmes au travail. Nous pouvons dégager de cette analyse quelques grands axes et leviers d’action :

  • L’adéquation entre temps au travail et vie privée

Si l’action sur la répartition genrée du travail domestique sort du champ de compétence des représentants du personnel, l’organisation du travail et en particulier sa compatibilité avec la vie familiale et le travail domestique fait bien partie du champ d’action possible. Ainsi, un ensemble de mesures favorise la maitrise de la charge de travail :

    • la compatibilité des horaires de travail ;
    • la stabilité de plannings de travail (ou leur prévisibilité à suffisamment long terme) ;
    • le droit à la déconnexion ;
    • les mesures prenant en compte la charge de famille tels les congés enfant malade,
    • le droit d’avoir des horaires adaptés ou un lieu de travail stable dans les professions impliquant de la mobilité pendant les premières années des enfants…

Ces mesures contribuent à permettre le travail à temps complet, la prise de responsabilités et peut éviter les ruptures dans la carrière des femmes. Elles s’appliquent aux femmes comme aux hommes et sont des éléments indispensables (mais bien sûr pas suffisants) pour que les hommes puissent prendre leur pleine part du travail domestique.

  • A travail équivalent salaire égal 

C’est déjà prévu par la loi et pourtant les entreprises se retranchent souvent sur les différences de métiers pour justifier des écarts de salaires femmes hommes. Il est pourtant possible de peser les différents métiers et d’assurer un rattrapage de salaire sur des métiers équivalents. Le Québec a adopté une loi dans ce sens : la Loi sur l’équité salariale vise à corriger les écarts salariaux causés par la discrimination fondée sur le sexe. Elle oblige les employeurs de 10 employés ou plus à assurer l’équité salariale entre les emplois à prédominance féminine et les emplois à prédominance masculine équivalents.

Les obligations de l’employeur sont de :

  • déterminer, pour chaque emploi, s’il est à prédominance masculine ou féminine ;
  • tenir compte de l’ensemble des caractéristiques de ces emplois en fonction de 4 facteurs : les qualifications requises, les responsabilités assumées, les efforts requis et les conditions dans lesquelles le travail est réalisé ;
  • identifier et comparer les salaires des emplois équivalents ;
  • corriger les écarts qui peuvent exister entre ces salaires.

Nous l’avons vu, la législation Française est déjà adaptée à ce type de mesures puisque la notion de valeur égale est introduite par la loi Roudy de 1983. De tels dispositifs pourraient donc être déployés au niveau national en identifiant les métiers équivalents pouvant servir de référence mais peuvent également se décliner dans les entreprises où coexistent des métiers à dominante féminine et à dominante masculine.

  • Egalité des chances

La situation des femmes au travail dépend fortement des conditions d’embauches, de l’accès aux promotions ainsi qu’aux formations.

Une entreprise fonctionnant sans aucune discrimination d’embauche et de promotion devrait ainsi avoir le même taux de féminisation des postes à tous les niveaux hiérarchiques. Un métier très féminisé avec 80 % de femmes aux postes d’exécution devrait avoir le même taux de féminisation aux différents niveaux de l’encadrement comme au niveau de sa direction. Mais comment faire pour favoriser l’accès des femmes aux postes à responsabilité ?

  • Favoriser la montée en compétences par l’accès à des formations sur le temps de travail, longues, qualifiantes : l’index de l’égalité salariale ne comprend aucun item sur cet aspect pourtant essentiel.
  • Former les manager sur les questions de discriminations pour leur permettre d’accompagner au mieux les salariées qu’ils ont sous leur responsabilité dans leur évolution professionnelle ;
  • Faciliter la prise de responsabilités par l’organisation du travail sans débordements sur la vie familiale (horaires de réunions, amplitude horaires, suivi de la charge de travail, droit à la déconnexion …).
  • Mettre en place des processus d’évolution de carrière, de recrutement, de candidature et de traitement de celles-ci clairs.
  • Veiller à la rédaction d’annonces de postes non discriminantes, déclinant les compétences attendues en se limitant aux compétences essentielles et en étant le plus factuelles possible,
  • Prévoir un comité de recrutement / promotions pour examiner les candidatures et composé par exemple de la moitié de femmes et dans les métiers féminisés avec la même proportion de femmes que l’entreprise.

 

  • Quotas ou pas quotas ?

Si les derniers textes législatifs introduisent des quotas de femmes dans les conseils d’administration puis dans les postes de direction des grandes entreprises, ces mesures font souvent l’objet de débats. Un des arguments fréquents prétend que ce serait peu valorisant pour des femmes d’être nommées à des postes du fait de leur conditions de femme et non de leurs compétences. Quelques contrarguments sur ce sujet : pour en arriver à un poste à responsabilité, les femmes doivent, bien souvent plus que leurs homologues masculins, faire preuve de leurs compétences. Les femmes sont bien plus sujettes à une difficulté à se sentir légitime dans leur métier. Il est dès lors très peu probable qu’une femme se positionne sur un poste pour lequel elle n’aurait pas les compétences requises. Enfin, la sous-représentation des femmes aux postes d’encadrement notamment supérieur invite à une politique volontariste en la matière afin d’éviter de se priver de compétences précieuses.

Nous avons développé ici quelques leviers possibles pour agir sur les discriminations professionnelles liées au genre.

La législation prévoit un possible accompagnement des organisations syndicales dans les entreprises de plus de 300 salariés, pour les assister dans la négociation d’un accord relatif à l’égalité professionnelle (article L2315-94 3ème alinéa du Code du Travail). Il peut s’agir de la négociation d’un accord ou de sa renégociation.

Le cabinet DEGEST, expert habilité CSE et SSCT, peut vous assister dans le cadre de cette négociation.

[1] Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans ?

Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz

[2] Inégalités femmes hommes chez les cadres. Rémunération et accès aux responsabilités : du chemin à parcourir APEC mars 2021

Photo de Paul Einerhand sur Unsplash

 

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