« Femmes et Hommes ne sont pas confrontés aux mêmes conditions de travail » nous dit l’INSEE : quelle influence des normes de genre ?

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Dans sa troisième édition consacrée à la thématique de l’égalité entre les femmes et les hommes, l’INSEE dresse un certain nombre de constats qui interroge sur le rôle des normes de genre dans l’identification des risques professionnels auxquels sont exposés les femmes et les hommes. Ces résultats sont intéressants pour négocier votre accord égalité professionnelle femmes / hommes ou demander une expertise sur le sujet.

 

Ce que montrent les statistiques de l’INSEE

Le constat de l’INSEE est sans appel : les femmes et les hommes ne sont pas exposés aux mêmes risques professionnels, quel que soit le groupe de métier auxquels ils appartiennent. L’INSEE en distingue trois principaux, dont certains sont composés de sous-catégories :

  • Les métiers féminisés exercés par au moins 65% de femmes dont :
    • Les métiers féminisés de service (soin, enseignement, commerce, nettoyage, etc.)
    • Les métiers féminisés de bureau (techniciens des services administratifs, comptables et financiers, catégories B et C de la fonction publique, secrétaires, etc.)
  • Les métiers masculinisés exercés par au moins 65% d’hommes dont :
    • Les métiers masculinisés ouvriers (conducteurs de véhicules, ouvriers du bâtiment de la maintenance ou de la manutention, etc.)
    • Les métiers masculinisés non-ouvriers (cadres commerciaux, ingénieurs de l’informatique et de l’industrie, agents de gardiennage, etc.)
  • Les métiers mixtes exercés par plus de 35% d’un des deux sexes, femmes ou hommes (cadres de la banque et des assurances, profession des arts et des spectacles, cuisiniers, employés de l’hôtellerie-restauration, agents administratifs et commerciaux du transport et du tourisme, etc.)

Plusieurs grands résultats découlent de cette nomenclature :

  • D’abord, la répartition sexuée des métiers implique que les femmes sont davantage exposées aux risques psychosociaux tandis que les hommes sont plus soumis aux risques physiques. Dans les métiers dits « féminisés », les contraintes d’organisation et de temps de travail, les exigences émotionnelles sont plus importantes et se conjuguent souvent à une faible latitude décisionnelle. C’est pourquoi les professions à forte proportion de femmes exposent davantage au « job strain», une situation à risque pour la santé mentale. Les hommes, de leur côté, sont plus exposés aux sollicitations physiques par le port de charge lourde, le contact avec des produits dangereux, des fumées, des poussières ou encore le travail dans un environnement insalubre.
  • Par ailleurs, même lorsqu’ils exercent le même métier, les femmes sont davantage confrontées que les hommes à tous les risques, à l’exception des risques physiques. Au sein des métiers mixtes, les femmes ont en effet, des scores plus dégradés que les hommes sur un ensemble de facteurs de risque : soutien, autonomie, conflits de valeurs, exigences émotionnelles, instabilité de leur poste et intensité du travail.

A l’aune de ce dernier constat, il serait donc réducteur de considérer que si les femmes et les hommes ne sont pas confrontés aux mêmes risques professionnels, c’est seulement parce qu’ils n’exercent pas les mêmes emplois ou ne réalisent pas les mêmes tâches.

Ces différences d’expositions amènent à s’interroger sur le rôle des normes de genre dans les risques que les femmes et les hommes encourent dans leur travail, y compris dans la manière dont ils/elles les appréhendent.

Quelle analyse peut-on faire des statistiques de l’INSEE ?

Tout d’abord, il est intéressant de s’interroger sur les mécanismes à l’œuvre de ce que l’INSEE appelle la répartition sexuée des métiers, autrement appelé « ségrégation professionnelle[1] ». Pourquoi il y a-t-il des métiers féminins et des métiers masculins ?

S’il ne s’agit pas de la seule explication, les normes de genre jouent un rôle majeur : les hommes seraient faits pour exercer des métiers pénibles et nécessitant leur force physique tandis que les femmes seraient naturellement plus douées pour les métiers relationnels (soin, enseignement, etc.). De même, certains métiers restent réservés aux hommes car « le matériel, les moyens de travail et l’organisation des temps de travail sont conçus au « masculin neutre« [2] », c’est-à-dire qu’ils ne tiennent pas toujours compte des différences morphologique ou physiologique des femmes et des hommes et des besoins liés à l’articulation des temps. Ces normes agissent tôt dès l’orientation scolaire des enfants induisant fortement la répartition sexuée qui sera ensuite observée en entreprise.

Mais surtout, ces représentations stéréotypées viennent fortement complexifier l’identification des risques professionnels auxquels sont exposés les femmes et les hommes car elles « confèrent aux femmes et aux hommes des qualités dites naturelles, et non des compétences réelles développées en situation de travail. Ces représentations contribuent à masquer les risques, les pénibilités ainsi que le professionnalisme mis en œuvre dans le travail. Par exemple le fait que le travail sollicitant le registre des émotions ne soit pas considéré comme un vrai travail, car considéré comme « naturel » pour les femmes, conduit à ne pas reconnaître les qualités communicationnelles comme de vraies compétences, ni à reconnaître les risques.[3] ». De la même manière, dans les métiers masculinisés, la prégnance d’une norme fondée sur la virilité, sur la force physique et un certain détachement affectif pourrait conduire les hommes à sous-estimer les exigences émotionnelles et les conflits de valeur auxquelles ils sont exposés.

Enfin, comment se fait-il que les femmes soient exposées à davantage de risques que les hommes, à métier équivalent ? A cette question complexe, nous proposons des premières pistes de réflexion qui ne prétendent pas à l’exhaustivité.

Là encore, les normes de genre jouent un rôle central. Considérées comme moins disponibles – voire moins compétentes – que les hommes pour exercer les postes à responsabilité et encore assignées aux tâches domestiques, les femmes restent sous-représentées dans les postes d’encadrement et surreprésentées dans les emplois à temps partiels, ce qui a pour conséquence de les exposer à un faible niveau d’autonomie, une plus grande insécurité socio-économique et un manque de reconnaissance symbolique et financier.

De plus, si l’INSEE est formel sur le fait que les femmes sont moins exposées que les hommes aux risques physiques dans le cadre professionnel, il n’en reste pas moins qu’elles le sont davantage dans la sphère privée où les tâches domestiques leur reviennent encore en grande partie. Elles sont donc fréquemment amenées dans les tâches ménagères, à adopter des postures contraignantes, à lever des objets lourds, à manipuler des produits dangereux ou encore à porter des enfants. Cette « double journée » des femmes porte préjudice à leur santé et interagit nécessairement avec le travail et ses risques.

 

Au-delà des chiffres et des analyses, c’est donc bien des enjeux d’égalité professionnelle et de prévention des risques dont il est question. En effet, l’invisibilisation des conditions de travail, des risques professionnels, de la pénibilité, et le manque de reconnaissance des compétences (notamment sociales, émotionnelles, relationnelles) dans les emplois à prédominance féminine a des impacts néfastes sur la rémunération, la santé et les perspectives de carrière.

DEGEST se tient à votre disposition pour vous assister dans la négociation ou la renégociation de votre accord relatif à l’égalité professionnelle, rendu désormais obligatoire dans les entreprises (Article L2242-1 du Code du Travail). Pour ce faire, une nouvelle expertise « habilitée » a été développée par le législateur (voir notre site : https://degest-expert-cse-ssct.com/nos-expertises/expertises-sante-et-conditions-de-travail/expertise-egalite-professionnelle/)

 

 

 

Pour aller plus loin sur le sujet, nos sources :

 

  • Le dossier de l’INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047793?sommaire=6047805
  • DARES, Document d’étude n°234 « Ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes : quels liens avec le temps partiel ? »
  • Paul Bouffartigue, Jean-René Pendariès. Normes de genre, normes professionnelles et perception des risques du travail : Soignantes hospitalières, salariés de la sous-traitance pétrochimique. Troisième congrès de l’Association Française de Sociologie (AFS). RTF 24 “ Genre, Classe, Race. Rapports sociaux et construction de l’altérité ”, Apr 2009, Paris, France.
  • ANACT/ARACT, Fiche repère conditions de travail – Pour agir sur les situations de travail des femmes et des hommes, Comment expliquer les écarts entre les femmes et les hommes de mon entreprise à partir d’une exposition différenciée aux conditions de travail ?
  • Genre, conditions de travail et santé. Qu’est-ce qui a changé ?, Rapport de l’ETUI (European Trade Union Institute), 2020, https://www.etui.org/fr/publications/genre-conditions-de-travail-et-sante

 

[1] « La ségrégation professionnelle peut être définie comme une situation où les travailleurs sont assignés, de droit ou de fait, à des professions différentes en fonction de leurs caractéristiques intrinsèques, comme leur sexe ou leur origine ethnique », DARES, Document d’études n°234, juillet 2019.

[2] ANACT/ARACT, Fiche repère conditions de travail – Pour agir sur les situations de travail des femmes et des hommes, Comment expliquer les écarts entre les femmes et les hommes de mon entreprise à partir d’une exposition différenciée aux conditions de travail ?

[3] Ibid.

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